dans le meme sujet, texte que je trouve tres interessant,
par contre ya plus de 2 lignes a lire ne soyez pas peur :CPE-CNE. La lutte des étudiants pourrait s'avérer prophétique, par WilliamPfaff - International Herald Tribune.
Les manifestations d'étudiants, de salariés et d'aspirants-salariés, suivispar la Gauche française et les syndicats qui ont pris le train en marche,constituent une forme de révolte spontanée contre quelque chose dont jesoupçonne que peu de ceux qui y participent ont pris la pleine mesure.
Le but du mouvement est, ostensiblement, l'obtention du retrait d'un détailsecondaire de la politique de l'emploi du gouvernement français, mais il aacquis une signification radicalement différente.
Les foules qui descendent dans la rue remettent en question un certain typed'économie capitaliste qu'une grande partie, voire une majorité de lasociété française considère comme une menace pour la norme nationale enmatière de justice et par-dessus tout pour l'« égalité » - ce conceptradical que la France est pratiquement le seul pays à ériger en causenationale, la valeur centrale de sa devise républicaine « liberté, égalité,fraternité ».
Il est certain que le Premier ministre Dominique de Villepin était loin dese douter des conséquences lorsqu'il a introduit ce qui lui apparaissaitcomme une initiative pour l'emploi, modeste mais constructive, dont le butétait d'alléger les difficultés structurelles qui pesaient sur la créationd'emplois.
Il a soulevé par inadvertance ce que de nombreux Français perçoivent commeune question fondamentale concernant l'avenir de leur nation, tout comme ily a deux ans ils ont perçu, au delà du référendum sur la constitutioneuropéenne, des questions dérangeantes sur la nature de l'Union Européennede demain et le type de capitalisme qui prévaudra à l'avenir en Europe.
Ils ne sont pas les seuls à s'en inquiéter. Un débat similaire, concernantles « modèles » de capitalisme se poursuit de façon persistante enAllemagne, qui est désormais le théâtre de troubles sociaux ainsi qu'au seinmême de la Commission Européenne, qui depuis l'élargissement de l'Union à 25s'est éloignée du traditionnel modèle « social » européen. Mêmel'Angleterre, mardi dernier, a vu se dérouler la plus importante grèvedepuis les années 1920 - pour défendre les retraites.
Les Français, bien entendu, sont opposés au « capitalisme sauvage » [1]depuis le jour où cette bête brute a commencé à hanter la Grande-Bretagne etses fabriques diaboliques au XIXe siècle avant de traverser l'Atlantiquepour se trouver une nouvelle tanière.
Un récent sondage d'opinion sur le système de libre entreprise et de libreconcurrence montre que 74% des Chinois déclarent penser que c'est lemeilleur de tous les systèmes économiques, contre seulement 36% desFrançais, suivis de près par les Allemands.
La question essentielle est celle-ci : de quel capitalisme s'agit-il ?Depuis les années 1970, deux changements radicaux ont affecté le modèledominant (américain) de capitalisme :
Premièrement, la version du capitalisme d'actionnaires, revue et corrigéepar le New Deal (aux États-Unis), qui avait cours en Occident depuis la finde la Deuxième Guerre Mondiale a été remplacé par un nouveau typed'entreprises, dont le but et la responsabilités ont changé.
D'après l'ancien modèle, les entreprises avaient le devoir de garantir lebien-être de leurs employés, de même qu'elles avaient des devoirs vis-à-visde la société (dont elles s'acquittaient principalement, mais pasexclusivement ; sous forme de charges et d' impôts).
Ce modèle a été remplacé par un autre, selon lequel les chefs d'entreprisedoivent créer de la « valeur » à court terme pour les actionnaires, ce quemesurent les cotations en bourses et les dividendes.
Cette politique a eu comme résultat concret une pression constante visant àréduire les salaires et les avantages sociaux des travailleurs (ce qui aconduit parfois à des vols de retraite et autres délits graves), etl'émergence d'un lobbying politique et de campagnes en faveur del'allègement des charges des entreprises et de leurs contributions auxfinances nationales et à l'intérêt public.
En résumé, le système des pays développés a été remanié depuis les années1960, enlevant aux travailleurs et au financement de l'État des ressourcesqui vont maintenant aux actionnaires et aux dirigeants des entreprises.
Bien que cette réflexion puisse être perçue comme incendiaire, ellem'apparaît comme une simple constatation. On reproche aujourd'hui auxEuropéens qui résistent aux « réformes » d'empêcher, par leurs choixpolitiques, les chefs d'entreprise de délocaliser les emplois et d'enréduire le nombre, afin de « valoriser » l'entreprise. (Récemment,l'International Herald Tribune titrait : « Wall Street applaudit la fusionannoncée d'AT&T et de Bellsouth. 10 000 emplois seront supprimés »).
J'ai baptisé ce phénomène « capitalisme de PDG. » puisque les chefsd'entreprise exercent un contrôle effectif sur leurs directoires et sontégalement les principaux bénéficiaires du système, soumis à la seulecritique des conseillers en investissements financiers, qui s'intéressentaux moyens d'augmenter les dividendes et non à la défense des travailleursou à celle de l'intérêt public. (John Bogle, le conseiller eninvestissements bien connu désormais à la retraite a récemment repris monargument à son compte dans son livre, The Battle for the Soul of Capitalism(« La lutte pour l'âme du capitalisme »)
Deuxièmement, la mondialisation, dont une des conséquences primordiales aété de faire entrer les travailleurs des sociétés développées en compétitionavec ceux des pays les plus pauvres du monde, a amené des changementsradicaux.
Je ne vais pas m'avancer plus loin sur ce terrain, qui est, je m'en rendsbien compte, extrêmement complexe ; je me contenterai de citer l'économisteclassique David Ricardo et sa « loi d'airain des salaires », qui veut quelorsqu'il existe une compétition salariale et que les ressources humainessont illimitées, les salaires baissent à un niveau situé juste au dessus dela simple survie.
Jamais auparavant les ressources humaines n'avaient été en quantitéillimitée. Elles le sont désormais grâce à la mondialisation - et ce n'estqu'un début.
Il me semble que ces troubles sociaux en Europe soulignent l'incompréhensiondont font preuve les politiques et les chefs d'entreprise face auxconséquences humaines d'un capitalisme qui considère les travailleurs commeune matière première et qui élargit au monde entier la concurrence des prixde cette matière première.
Dans une perspective à plus long terme, les conséquences politiques de cetétat de faits iront peut-être plus loin que ne le soupçonnent les étudiantsfrançais, pourtant politisés. Leur prise de position qui peut semblerrétrograde ou même luddite [2] pourrait s'avérer prophétique.
Texte de : William Pfaff
traduit par :Catherine-Françoise Karaguézian
Source : International Herald Tribune
www.iht.com/articles/2006/03/29/news/edpfaff.php[1] En français dans le texte.N.d.l.t.
[2] Les Luddites étaient des employés du textile anglais qui, au début duXIXe siècle, détruisirent des machines en signe de révolte contre uneautomatisation dont ils craignaient qu'elle soit synonyme de licenciements.N.d.l.t.